Au premier coup d'oeil, les Demoiselles semblent avoir complètement disparu, à Rochefort. Le temps a fait son oeuvre, les soeurs jumelles ne sont plus que des fantômes. Il faut un oeil connaisseur pour les voir encore aujourd'hui danser dans leur studio, chanter dans le café de la place Colbert -rebaptisé "Le café des Demoiselles"-, à se ruer chez Monsieur Dame pour acheter du papier à musique.

Pourtant, l'été 66, la ville de Rochefort est prise d'assaut. Des centaines de personnes débarquent dans la petite ville portuaire de Charente-Maritime et campent ses rues, ses immeubles, ses commerces. Pendant 2 mois, l'équipe de tournage des "Demoiselles de Rochefort" s'empare de la ville, un événement qui a profondément marqué les Rochefortais.

C'était il y a 50 ans. Demy signait la toute première comédie musicale française, qui avait tout d'une américaine : des moyens considérables ont été déployés, plus de 40 000 m² de façades d'immeubles sont peintes de toutes les couleurs pour les besoins du film. Même le maire a dû momentanément déménager : il laisse son siège au studio de danse de Solange et Delphine.

Demy s'est même payé le luxe d'engager deux des plus grandes stars du musical hollywoodien : d'abord Gene Kelly, interprète d'Andy Miller qui tombera follement amoureux de Solange, incarnée par Françoise Dorléac. Mais aussi Georges Chakiris, interprète du forain Etienne et surtout de Bernardo dans "West Side Story".

Un projet ambitieux, qui a reçu un accueil chaleureux du public. Et qui reste surtout marqué dans l'esprit des Rochefortais.

Plus que le film en lui-même, c'est en effet le tournage qui a marqué les habitants de Rochefort. Ces chorégraphies aériennes, répétées à longueur de journée sous le soleil écrasant. Jacques Demy, lançant ses ordres de chef d'orchestre sous l'oeil de Michel Legrand.

En effet, si l'anniversaire du film est passé presque totalement inaperçu à Rochefort, les 50 ans du tournage ont été eux célébrés en grande pompe. En 2016, la ville de Rochefort a consacré 3 jours à ce cinquantenaire, 3 jours d'animations à la Demy.

"Je voulais faire un film qui encourage", dira plus tard le réalisateur. Un film coloré, rose bonbon mais pas "gnagnan". Avec une soeur romantique en apparence, qui se révèle très moderne. Et une autre soeur d'apparence moderne, mais qui au fond d'elle est une romantique.

Un film qui parle de l'émancipation, du rapport mère-fille avec un père absent. Qui montre la difficulté de confronter ses rêves à la réalité, qui montre le départ, l'absence aussi. Un film qui fait rimer "érudite" avec le mot "frite".